L’installation de gestion des déchets radioactifs près de la surface (IGDS) qu’on veut aménager à Chalk River doit recevoir des déchets radioactifs qui n’ont pas besoin d’être enfouis à grande profondeur. Ce sont des déchets que le gouvernement canadien a accumulés depuis 1945. La plupart de ces déchets proviennent des activités de recherche civile et militaire qui se sont déroulées à Chalk River ainsi que de la production de sources radioactives pour les hôpitaux. Cela inclut aussi les déchets de plusieurs prototypes de centrales nucléaires. Selon la Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN) un déchet radioactif est « toute matière (liquide, gazeuse ou solide) contenant une substance nucléaire radioactive pour laquelle on ne prévoit plus d’usage et qu’on a désignée comme déchet. »
Le projet d’IGDS est soumis par les Laboratoires Nucléaires Canadiens (LNC), gérés au privé par un consortium de multinationales depuis 2015 en partenariat public-privé (PPP). Les LNC souhaitent se défaire d’un million de mètres cubes de déchets radioactifs (sol contaminé, déchets provenant de laboratoires démolis, vieux déchets entreposés, déchets médicaux) en les empilant dans un monticule aménagé sur une colline. Selon le promoteur, les déchets qui y seront enfouis devraient cesser d’être dangereux avant la désintégration du site dans 300 à 500 ans.
La construction de ce premier projet devrait se faire sur le site de recherche de Chalk River, sur les berges de la rivière des Outaouais à environ 200 kilomètres au nord-ouest d’Ottawa. La rivière des Outaouais est la source d’eau potable de millions de personnes au Québec et en Ontario, notamment dans les municipalités d’Ottawa et de Gatineau et dans la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM).
Le second projet soumis par les LNC comprend la « mise en tombeau » de la première centrale nucléaire canadienne à Rolphton, en amont de Chalk River. On veut bétonner en place le réacteur et le reste de la centrale au lieu de remettre les lieux dans leur état initial comme le prescrit le permis actuel. Ce projet n’est pas conforme aux normes internationales de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) qui recommande le démantèlement complet.
L’évaluation de ces projets devant la CCSN arrive bientôt à son terme. Le 9 avril 2020, l’équipe d’examen a terminé l’examen technique de l’ébauche révisée de l’étude d’impact environnemental (ÉIE) de l’IGDPS et les Laboratoires Nucléaires Canadiens doivent encore répondre aux derniers commentaires des fonctionnaires fédéraux et provinciaux. La CCSN pourra ensuite décider des conditions à inclure dans le permis d’autorisation.
Critiques envers ces projets
Plusieurs intervenants ont formulé des inquiétudes à l’égard des projets d’IGDPS et de mise en tombeau de la centrale nucléaire de Rolphton.
Ainsi, ils signalent que :
- l’IGDPS de Chalk River serait situé à un kilomètre de la rivière des Outaouais, dans une zone marécageuse et sismique de niveau 6 sur l’échelle Richter;
- le gouvernement canadien a toujours promis de démanteler les réacteurs nucléaires pièce par pièce pour les placer dans des sites d’enfouissement en profondeur alors qu’il veut désormais faire une « mise en tombeau » de la centrale nucléaire à Rolphton, qui est à quelques mètres de la rivière des Outaouais ;
- les projets contreviennent aux normes de sécurité de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et il y aurait inévitablement une contamination radioactive des eaux souterraines et de la rivière des Outaouais.
Plusieurs municipalités, dont Gatineau, se sont opposées au projet, de même que la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM) et des membres des premières nations, comme l’Assemblée des Premières Nations, la Nation Anishinabeg et le Caucus iroquois.
Les normes internationales de gestion des déchets radioactifs
L’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) est l’organisation qui propose les normes de sûreté nucléaire, dont celles qui concernent les déchets radioactifs. L’élimination de ces déchets doit permettre de maîtriser leur risque radiologique. Leur isolement de la biosphère doit être maintenu assez longtemps pour que toute libération ultérieure d’éléments radioactifs ne crée aucun risque radiologique inacceptable, même à longue échéance. Ainsi, l’AIEA définit différentes catégories de déchets qui dépendent de leur niveau de radioactivité et de la durée de leur activité radioactive :
- Catégorie des déchets de très faible activité (DFTA) qui ont de faibles concentrations ou quantités de contenu radioactif. Selon l’AIEA, ils peuvent être mis dans une décharge similaire à celle utilisée pour les rebuts industriels, avec un dispositif pour les recouvrir.
- Catégorie des déchets de faible activité (DFA) qui contiennent peu de radionucléides de longue durée. Cette catégorie comprend divers types de déchets, ceux qui ont une courte vie mais une plus grande activité jusqu’aux déchets de longue durée de vie qui auraient une très faible activité. Ils peuvent être entreposés dans une installation constituée de tranchées artificielles ou de casemates construites à la surface ou jusqu’à quelques dizaines de mètres de profondeur. On établissait auparavant que des déchets entraient dans cette catégorie si leur teneur en radionucléides était assez faible pour qu’ils puissent être manipulés ou transportés sans aucun blindage de protection.
- Catégorie des déchets de moyenne activité (DMA) qui peuvent être disposés dans des installations construites dans des cavités, des casemates ou des silos situés d’au moins quelques dizaines de mètres à quelques centaines de mètres sous la surface.
- Catégorie des déchets de haute activité (DHA) qui doivent être stockés dans une formation géologique très stable à long terme et à plusieurs centaines de mètres sous la surface.
La frontière entre les déchets de faible activité et de celle de moyenne activité va varier en fonction du type de radionucléides présents. L’acceptabilité d’un type de décharge près de la surface dépend de la durée du contrôle prévu, des systèmes de protection mis en place et des caractéristiques particulières du site choisi.
Les normes canadiennes en matière de gestion des déchets radioactifs
En septembre 2019, une mission d’experts de l’AIEA a mené une mission technique afin de passer en revue le cadre réglementaire canadien en matière de sûreté nucléaire, de le comparer aux normes de l’AIEA, et de faire des recommandations au gouvernement canadien . En examinant les politiques canadiennes en matière de déchets radioactifs, la mission a trouvé insatisfaisante la politique-cadre du gouvernement sur la gestion des déchets radioactifs. Elle mentionne qu’une politique nationale complète sur le sujet devrait aussi traiter du déclassement des installations nucléaires. Elle a donc adressé au Canada la recommandation suivante :
[TRADUCTION] « améliorer la politique actuelle et établir une stratégie connexe pour donner effet aux principes énoncés dans la Politique-cadre en matière de déchets radioactifs du Canada. »
Le Canada a accepté cette recommandation. Il a notamment promis que : « Ressources naturelles Canada examinera sa politique actuelle concernant les déchets radioactifs et considérera comment elle pourrait être améliorée pour donner suite aux principes énoncés dans la Politique-cadre en matière de déchets radioactifs, y compris l’établissement d’une stratégie connexe. »
Pour sa part, le personnel de la CCSN a élaboré cinq documents réglementaires (RegDoc) qu’il a soumis pour adoption aux Commissaires le 18 juin 2020, avant même que le Gouvernement du canada n’ait entamé sa consultation publique sur l’amélioration de sa politique et sur sa stratégie en matière de gestion des déchets radioactifs. Les RegDoc traitent des différentes catégories de déchets, dont les déchets de faible activité et de moyenne activité. Des critiques des organismes de la région ont déploré le caractère non contraignant de cette réglementation qui laisse une grande liberté d’action aux promoteurs de nouveaux projets et l’absence de toute participation du public dans le processus prévu.
Concernant l’IGDS de Chalk River, les catégories de déchets radioactifs semblent être volontairement ambigües, surtout pour les catégories de faible activité et celle de moyenne activité. Les titulaires de permis seraient ainsi libres d’établir leur propre classification de déchets.
La seule obligation de résultat prévue dans la réglementation stipule que l’évaluation de sûreté post-fermeture doit fournir une assurance raisonnable que la limite réglementaire de dose radiologique pour l’exposition du public (actuellement 1milliSievert/an) ne sera pas dépassée dans le scénario d’évolution normal.
Malheureusement, la nature de cette assurance raisonnable et de ce « scénario d’évolution normal » restent très vagues. Il faut aussi tenir compte que le concept de « normalité » en environnement est défini en fonction d’un climat stable, ce qui est remis en question par le réchauffement climatique et par les changements qu’il provoque en termes de pluviométrie et de fréquence des inondations. Le scénario d’évaluation normal devrait ainsi prendre en compte les scénarios d’évolution future du climat pour diminuer le risque d’exposition radiologique causé par un site potentiellement inadéquat.
Le journaliste Gilles Provost de même que Ginette Charbonneau, tous deux co-porte-paroles du Ralliement contre la pollution radioactive (RCPR), critiquent aussi la nouvelle définition de déchets de faible activité, qui comprend désormais des déchets radioactifs plus dangereux, qui ne peuvent parfois pas être manipulés à mains nues, et qui devraient être entreposés dans le monticule de Chalk River, non loin de la rivière des Outaouais.
ACO s’implique depuis plusieurs années dans ce dossier afin que le projet proposé puisse se réaliser selon les meilleures pratiques et que l’eau de la rivière des Outaouais et l’environnement de la région soient protégés.