Enjeu: Transition énergétique

Pour faire face à la crise climatique, nous devons réduire nos émissions de gaz à effet de serre (GES) pour atteindre la carboneutralité nette d’ici 2050. La carboneutralité consiste à ce que les réductions d’émissions et la compensation des émissions annulent les émissions de GES. L’ensemble des politiques et actions nécessaires pour atteindre cet objectif et s’y maintenir, c’est la transition énergétique. Elle exige d’abord de sortir de l’économie fossile en remplaçant les combustibles fossiles par des sources d’énergie renouvelable et propre. Mais elle implique aussi de restructurer nos économies et nos sociétés pour diminuer notre consommation d’énergie et réduire le gaspillage. Nous devons devenir plus efficaces et plus solidaires. Nous devons opérer une transition juste et équitable, dans une optique de bien commun. Tel est l’enjeu.
Manifestation à Paris. Source : «Climate change protesters march in Paris streets» par Jeanne Menjoulet sous licence CC BY-ND 2.0.

La réalité de la crise climatique et sa gravité sont de plus en plus reconnues. Les mouvements et les leaders qui nient le changement climatique ou son origine humaine apparaissent comme des extrémistes. Les signes évidents du changement climatique et la mobilisation populaire poussent plutôt les décideurs du monde politique et des affaires à s’afficher comme champions du climat. L’enjeu des débats se déplace de la réalité de la crise vers les moyens d’y faire face, c’est-à-dire la transition vers une économie et une société plus verte.

Malgré les protestations de bonne volonté, les actions tardent. Les conclusions des chercheurs sont sans appel : pour minimiser les changements catastrophiques (événements météorologiques extrêmes, hausse du niveau de la mer, crise des pêches, déplacements massifs de population, aggravation des inégalités sociales), il faut limiter la hausse des températures au niveau global à 1,5°C par rapport à la période préindustrielle (nous en sommes déjà à plus d’1°C!). Cet objectif implique des réductions dans les émissions de CO2 de 45% d’ici 2030 (par rapport à 2010), et leur cessation nette à l’horizon 2050, ainsi qu’une réduction de 35% des émissions de méthane d’ici 2050.

Après des années de cibles nettement moins ambitieuses, qu’il n’a jamais atteintes, le Canada s’est récemment engagé à atteindre la carboneutralité en 2050, et à établir des cibles aux cinq ans à partir de 2030 . Pourtant il est en voie de rater complètement sa cible pour 2030 : après une baisse due à la récession de 2008, les émissions sont reparties à la hausse, n’enregistrant en 2019 qu’un maigre recul de 1,2% par rapport à leur niveau de 2005.

Émissions de gaz à effet de serre
  Total (Mt) Pétrole et gaz (%) Transports (%) Électricité (%)
Canada
1990 602 17 20 16
2005 739 22 22 16
2019 730 26 25 8
Québec
1990 86 5 28 2
2005 88 5 35 1
2019 84 3 41 0 (0,3)

Le Québec ne fait guère mieux en promettant une réduction de 37,5% de ses émissions d’ici 2030 (par rapport à 1990), alors qu’elles n’ont diminué que de 3,2% entre 1990 et 2019! Le Québec détient pourtant un avantage de taille avec la production hydroélectrique, mais incite encore ses habitants à délaisser l’hydroélectricité pour le gaz naturel! (→ enjeu : gaz naturel)

Le nouveau visage du climatoscepticisme

Nous sommes donc aux prises avec un nouveau climatoscepticisme, qui reconnaît la réalité de la crise, mais refuse toute mesure proportionnée à sa nature et à son ampleur. Les uns refusent toute limite à la production et à la consommation de combustibles fossiles, au nom de la « solidarité » avec les provinces de l’Ouest ou des finances publiques québécoises. Certains voient la transition seulement comme déplacement d’un combustible fossile vers un autre, supposément moins polluant. D’autres admettent la possibilité de se tourner vers les énergies propres, mais en plus et non en remplacement des énergies fossiles.

Les nouveaux climatosceptiques ne s’embarrassent aucunement des contradictions inhérentes, et l’exemple vient de haut. Le gouvernement canadien, sous Trudeau comme sous Harper et Chrétien, a tout fait pour favoriser l’augmentation indéfinie de la production de combustibles fossiles non-conventionnels : subventions massives, dont l’achat de TransMoutain pour 4,7 milliards en 2018 n’est que la pointe de l’iceberg (→ enjeu : désinvestissement), exemption d’évaluation environnementale des forages exploratoires (destinés à créer de nouveaux puits) dans l’Atlantique. Il défend son bilan en arguant que cela financera la transition : pour réduire les émissions de GES, il faudrait les augmenter! Étant donné ces actions, son intention toute récente de plafonner les émissions de GES du secteur du pétrole et du gaz en laisse plusieurs sceptiques…

Déclin de l’économie fossile?

Pourtant le statu quo est intenable, et pas seulement parce qu’il nous conduit dans un mur climatique. L’ère de l’énergie fossile abondante et facile à extraire est bel et bien terminée. Le rendement énergétique (énergie produite / énergie consommée pour la production) des champs pétrolifères du Moyen-Orient ouverts dans les années 1930 était cinq fois plus élevé que celui des combustibles fossiles non-conventionnels (pétrole et gaz de schiste, sables bitumineux, forage en eau profonde) aujourd’hui. Les « réserves » pratiquement inépuisables que fait miroiter l’industrie des combustibles fossiles ne pourront pas remplacer le pétrole et le gaz conventionnels, même d’un point de vue strictement comptable.

Cela signifie aussi qu’une sortie de l’économie fossile est encore plus urgente que les données ne le laissent paraître. Les combustibles fossiles non-conventionnels ont une empreinte écologique démesurée : leur production aggrave considérablement les émissions de GES et les autres dégradations de l’environnement par rapport aux combustibles fossiles conventionnels, qui ont pourtant provoqué la crise climatique, sans compter leur contribution aux guerres et au colonialisme. Nous ne pouvons littéralement pas continuer comme avant; il nous faut choisir entre le pire (avec les combustibles fossiles) et le meilleur (avec les énergies renouvelables et une véritable transition énergétique).

Ce constat dépasse les cercles écologistes. Mark Carney, lorsqu’il était gouverneur de la Banque d’Angleterre, a admis dès 2014 que la grande majorité des réserves de combustibles fossiles doivent rester sous terre pour prévenir un réchauffement catastrophique de plus de 2°C. D’autres observateurs du monde financier considèrent que les actifs des compagnies de combustibles fossiles sont grandement surévalués compte tenu des changements qui s’imposeront tôt ou tard à cause de la crise climatique (→ enjeu : désinvestissement).

L’essor des énergies propres

«Éoliennes de Cap-Chat» par virtualfred&lamartina sous licence CC BY-NC-SA 2.0

Si les combustibles fossiles assurent encore la majorité des besoins en énergie (84% en 2018), les énergies renouvelables sont d’ores et déjà concurrentielles. Des projets de production d’électricité dans la péninsule arabique et aux États-Unis délaissent le gaz naturel pour l’énergie solaire à cause des coûts inférieurs du solaire, même en tenant compte des coûts du stockage. Un important producteur d’électricité de l’Ouest américain, PacifiCorp, planifie de fermer plusieurs de ses centrales au charbon pour passer au solaire avec stockage, pour des raisons de coût. Une étude récente montre que la consommation américaine d’électricité pourrait être satisfaite avec un approvisionnement à 90% renouvelable.

Que la véritable transition se lève!

La carboneutralité implique cependant beaucoup plus qu’un changement dans les sources d’énergie. Par exemple, le transport occupe le premier rang des activités émettrices de GES au Québec, avec 41% du total. Mais le règne de l’auto entraîne des conséquences plus vastes. L’étalement urbain avec ses résidences unifamiliales, ses autoroutes et ses centres commerciaux multiplie la consommation d’énergie et installe un cercle vicieux puisqu’il favorise l’auto solo au détriment du transport en commun. L’électrification des transports peut certes aider, mais nous devons surtout réorienter notre façon de développer et de structurer nos habitats pour que l’auto devienne l’exception plutôt que la norme.

Mosaïque des visages de participants à la feuille de route pour la transition énergétique, 2020
Mosaïque souvenir, lancement de la feuille de route pour une transition énergétique, version 2.0, 2020-11-10

Le concept de résilience prend aussi de plus en plus de place dans le débat sur la transition. Il désigne la capacité de systèmes ou de collectivités à résister aux perturbations. Face à la crise climatique, la résilience de nos communautés repose aussi sur celle des systèmes naturels, qui fournissent l’eau potable, la nourriture, l’habitat et peuvent atténuer des catastrophes comme les inondations et agir comme puits de carbone. Or ces systèmes sont mis à mal depuis des décennies par l’urbanisation, le remblayage des zones humides, l’agriculture intensive, la pollution, la surpêche et les changements climatiques. La perte dramatique de la biodiversité signalée par l’ONU en 2019 témoigne de l’ampleur du problème, puisque la biodiversité est une condition essentielle de la résilience des écosystèmes.

La transition énergétique exige donc une véritable transition écologique. Il ne s’agit pas de revenir en arrière mais de mettre à profit les pratiques et les connaissances accumulées par l’humanité depuis des millénaires pour inventer un mode de développement plus sain et plus durable. La véritable transition est donc sociale et politique autant qu’énergétique : elle repose sur la capacité des collectivités d’orienter leur développement de façon solidaire, démocratique et rationnelle.

Feuille de route pour un Québec ZéN

Le Front commun pour la transition énergétique, dont fait partie Action Climat Outaouais avec quelque 90 organisations citoyennes, environnementales, syndicales et communautaires, propose une feuille de route pour le Québec afin d’éclairer les voies menant au Québec ZéN (zéro émission nette). Résultat d’un immense travail de recherche et de mise en commun des expériences, la feuille de route propose des principes, des objectifs et des actions pour atteindre la carboneutralité en rendant nos communautés plus résilientes, nos gouvernements plus démocratiques et responsables et nos sociétés plus justes et solidaires. Elle offre une vision plurisectorielle sur le comment de la transition, tout en détaillant la manière dont chacun des acteurs peut y contribuer, que ce soit le citoyen, la municipalité, les entreprises ou le gouvernement.

« Dans ce Québec ZéN, les besoins énergétiques auront diminué radicalement et l’énergie consommée sera renouvelable à presque 100 %. Les collectivités auront la capacité d’entretenir par elles-mêmes la quasi-totalité des systèmes qui soutiennent leur mode de vie. La circulation routière sera fluide et la mobilité améliorée, y compris en région rurale. L’achat local sera roi et la circularité des matières sera devenue la norme en industrie. Les sols agricoles seront en santé et plus de 80 % du contenu de notre assiette proviendra du Québec. Chacun·e – individu et entreprise – tendra vers le zéro déchet. »

« Ce Québec sera paisible car des efforts financiers de temps de crise auront été faits à temps. La transition se sera réalisée de manière progressive et ordonnée, évitant ainsi le chaos social et économique qui aurait inévitablement accompagné l’emballement climatique. Axée sur la satisfaction des besoins plutôt que sur l’accumulation débridée, l’économie sera plus saine. »

 Lettre ouverte du Front commun pour la transition énergétique

 

Le dialogue se poursuit. Depuis le lancement de la feuille de route en octobre 2019, « près de 190 personnes membres du Front commun et spécialistes allié·e·s, appartenant à plus 85 organisations différentes et à au moins 18 départements, chaires de recherches ou facultés de 10 universités, toutes et tous réputé·e·s dans leur domaine, ont contribué au projet », et la version 2.0 de la feuille de route a été lancée en novembre 2020.

« Ensemble, nous réussirons! »

Pour en savoir plus :