Texte complémentaire à l’entrevue donnée par François Demers à la Première chaîne de Radio-Canada, le 23 janvier 2025. On peut aussi réécouter l’entrevue.
Nous passons collectivement de plus en plus de temps sur les plateformes numériques. Médias sociaux, jeux vidéo, streaming, travail en ligne : plusieurs dimensions de notre vie personnelle et professionnelle sont désormais indissociables du numérique. Un environnement dématérialisé qui nous donne l’impression de n’avoir que peu d’impact sur l’environnement. Et pourtant, le secteur du numérique est extrêmement consommateur d’énergie. En effet, le numérique représente 4% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, soit l’équivalent du secteur de l’aviation. Et cette consommation est appelée à augmenter.
Fabrication et transport
La moitié des émissions du secteur du numérique provient de la fabrication et du transport des appareils. Les processus de fabrication sont extrêmement consommateurs d’énergie, d’eau et de matériaux comme de nombreux métaux et des terres rares. Si chaque appareil en contient de petites quantités, les centaines de millions de produits vendus chaque année représentent des quantités phénoménales de matériaux qui doivent être extraits de la terre, avec un impact majeur sur la biodiversité. Malheureusement, les petits appareils comme les téléphones intelligents sont peu recyclables puisque les matériaux qu’ils contiennent en petites quantités sont tellement imbriqués que les processus de séparation sont très onéreux et, encore une fois, consommateurs d’énergie.
Il faut aussi prendre en compte la chaîne de distribution mondiale de ces appareils qui représente des émissions importantes de gaz à effets de serre. Entre l’extraction des matières, la fabrication de composantes, leur assemblage, leur emballage et leur distribution, les appareils font plusieurs fois le tour de la planète.
Malheureusement, l’obsolescence programmée a encore de beaux jours devant elle : la plupart des appareils que nous achetons sont peu ou pas réparables. De plus, ils fonctionnent avec des logiciels en constante mutation qui ne sont souvent plus compatibles avec les appareils après seulement quelques années, même si ceux-ci sont toujours en excellent état. Nous sommes donc poussés, à coup de constantes campagnes publicitaires, à toujours acheter des modèles plus récents, alors que ceux que nous possédons pourraient encore répondre longtemps à nos besoins.
Heureusement, des pays comme la France ont légiféré contre l’obsolescence programmée et pour le droit à la réparation du consommateur (Loi sur l’empreinte environnementale du numérique, 2021), poussant les fabricants à modifier leurs pratiques. Il serait intéressant d’encourager nos décideurs à adopter des lois semblables.
Centres de données très énergivores
La moitié des émissions du numérique provient de l’énergie requise pour faire tourner les centres de données hébergeant les serveurs, dont les plus gros peuvent avoir la même consommation électrique que des villes de taille moyenne. Si Internet était un pays, il serait le 3ème consommateur mondial d’électricité après la Chine et les États-Unis. De plus, ces centres de données se trouvent partout dans le monde et ne sont pas toujours alimentés par l’hydro-électricité comme au Québec. Les deux tiers de l’électricité dans le monde proviennent de centrales thermiques et les serveurs installés dans des pays comme les États-Unis, la Chine, l’Inde, et même ici en Alberta, sont principalement alimentés par les énergies fossiles.
Aujourd’hui la pratique de visionnement de vidéos en streaming est la plus consommatrice de données, avec environ 60% de toutes les données pour le numérique. L’intelligence artificielle (IA) risque de dépasser le streaming puisqu’elle connaît une croissance exponentielle. On sait qu’une recherche sur une application d’intelligence artificielle utilise déjà 10 fois plus de données qu’une recherche sur un moteur de recherche comme Google. Avec l’IA, d’ici 2030, le numérique pourrait consommer plus de 20% de toute l’électricité produite dans le monde, selon l’Agence de la transition écologique (France). L’intelligence artificielle ne sauvera pas l’environnement!
Impact géopolitique
Les médias sociaux ont bien changé depuis 2010. On se souvient des débuts de Facebook comme lieu de rencontre communautaire, et le rôle qu’a joué Twitter dans la mobilisation sociale du Printemps arabe. Mais tout a bien changé. Toujours à la recherche de l’engagement jusqu’à l’extrême, la Big Tech joue un rôle central dans le progrès de partis de droite et d’extrême droite climatosceptiques. On a vu les « tech bros » Elon Musk, Mark Zuckerberg, Tim Cook, etc. au premier rang à l’inauguration de Donald Trump, le nouveau président climatosceptique des États-Unis. On connait le rôle de la plateforme X (Twitter) dans la prise de pouvoir du candidat républicain. L’arrivée au pouvoir de partis climatosceptiques dans le monde met un frein aux politiques nécessaires pour diminuer les émissions de gaz à effets de serre.
La désinformation court comme un feu de paille sur X, Facebook, Instagram et Tic Toc, alimentée par des moyens financiers démesurés provenant de groupes d’intérêt liés aux énergies fossiles. La plateforme X, en particulier, est devenue un véritable foyer de désinformation à propos du climat. L’annonce la semaine dernière de l’arrêt de la vérification des faits par le patron de Meta, Mark Zuckerberg, a également de quoi inquiéter, surtout que Facebook bloque la diffusion des nouvelles au Canada, en riposte à la Loi sur les nouvelles en ligne. Comme les médias sociaux sont la source #1 d’information en Amérique du nord, ils ont un iImpact majeur sur l’opinion publique à propos des changements climatiques. Il est donc primordial que les citoyens développent l’habitude d’aller chercher leurs nouvelles auprès de sources d’information fiables.
Solutions
- La surconsommation est au cœur des changements climatiques, y compris pour le numérique. Nous baignons dans une grande marmite de marketing qui crée des besoins pour des produits toujours plus « performants ». Attention : il est important de se demander de quoi on a vraiment besoin avant d’acheter un nouvel appareil.
- Pratiquez la sobriété numérique. Toutes les heures que nous passons en ligne sont non seulement néfastes pour le climat, elles le sont aussi pour la santé mentale. Favorisez les interactions en personne plutôt qu’en ligne et la communion avec la nature. Assistez à des performances artistiques en personne plutôt qu’à l’écran. Débranchez-vous régulièrement.
- Faites réparer vos appareils lorsque possible. La batterie de votre ordinateur portable faiblit? Pas besoin de remplacer l’ordinateur : un réparateur peut très bien installer une nouvelle batterie à faible coût. Faites durer les appareils qui répondent toujours à vos besoins, et n’écoutez pas les sirènes de la publicité.
- Si vous écoutez des vidéos en streaming, optez pour la basse résolution. Par exemple, la plateforme Youtube offre une fonction « économiseur de données ». Passez en résolution 240p pour visionner des vidéos sur votre téléphone intelligent, et vous verrez à peine la différence! Une résolution 240p consomme 225MB par heure, tandis qu’une résolution HD 1080p consomme 3 GB et une résolution 4K consomme 16 GB par heure. C’est 70 fois plus!
- 80% des courriels que nous recevons sont des pourriels. Désabonnez-vous de toutes les listes de distribution qui vous envoient des courriels que vous n’ouvrez jamais. Ce sont des centaines de messages consommateurs de données qui ne seront plus envoyés.
- Finalement, nous recommandons de ne pas chercher son information dans les médias sociaux. Informez-vous auprès de sources fiables : médias bien établis, sites web d’organismes crédibles, chaînes de vulgarisation scientifique avec des sources vérifiables, etc. 2025 sera une année électorale (au fédéral, en Ontario, à Gatineau), informez-vous avant de voter!
Pour en savoir plus
- Pollution numérique : comment réduire son impact ? – RTBF
- Pollution numérique | Hydro-Québec
- La pollution numérique, qu’est-ce que c’est ? – Greenpeace France
- Environmental-impacts-of-digital-technology-5-year-trends-and-5G-governance_March2021.pdf
- L’enfer numérique, Guillaume Pitron, éditions Les gens qui libèrent, 2023
- Climate Action Against Disinformation | A global coalition of over 20 leading climate and anti-disinformation organisations