Ce texte de l’historien, politologue et militant Howard Zinn, auteur notamment d’Une histoire populaire des États-Unis, a été publié par ZCommunications le 7 mars 1999
https://www.howardzinn.org/collection/on-getting-along/.
Vous me demandez comment j’arrive à rester impliqué et à rester apparemment heureux et adapté à ce monde horrible où les efforts des personnes bienveillantes pâlissent en comparaison de ceux des personnes qui ont le pouvoir ? C’est très simple.
D’abord, ne vous laissez pas intimider par « ceux qui ont le pouvoir ». Quel que soit leur pouvoir, ils ne peuvent pas vous empêcher de vivre votre vie, de dire ce que vous pensez, de penser de manière indépendante, d’avoir des relations avec les gens comme vous l’entendez. Il faut lire l’autobiographie d’Emma Goldman, Living My Life (Vivre ma vie). Harcelée, voire emprisonnée par les autorités, elle a insisté pour vivre sa vie, s’exprimer comme elle l’entendait.
Deuxièmement, trouvez des personnes qui partagent vos valeurs, vos engagements, mais qui ont aussi le sens de l’humour. Cette combinaison est indispensable !
Troisièmement (remarquez à quel point mes conseils sont précis et que je peux même le numéroter en toute confiance, comme le font les scientifiques), comprenez que les grands médias ne vous parleront pas de tous les actes de résistance qui ont lieu chaque jour dans la société, les grèves, les protestations, les actes individuels de courage face à l’autorité. Cherchez autour de vous (et vous en trouverez certainement) les preuves de ces actes non rapportés. Et pour le peu que vous trouverez, extrapolez à partir de cela et supposez qu’il doit y en avoir mille fois plus que ce que vous avez trouvé.
Quatrièmement, rappelez-vous que tout au long de l’histoire, les gens se sont sentis impuissants face à l’autorité, mais qu’à certains moments, ces personnes impuissantes, en s’organisant, en agissant, en prenant des risques, en persistant, ont créé suffisamment de pouvoir pour changer le monde autour d’elles, même si ce n’est qu’un peu. C’est l’histoire du mouvement ouvrier, du mouvement des femmes, du mouvement contre la guerre du Viêt-Nam, du mouvement des personnes handicapées, du mouvement LGBTQ+ ou du mouvement des Noirs dans le Sud.
Cinquièmement, rappelez-vous que ceux qui détiennent le pouvoir et qui semblent invulnérables sont en fait très vulnérables, que leur pouvoir dépend de l’obéissance des autres, et que lorsque ces derniers commencent à refuser cette obéissance, à défier l’autorité, ce pouvoir au sommet s’avère très fragile. Les généraux deviennent impuissants lorsque leurs soldats refusent de se battre, les industriels deviennent impuissants lorsque leurs ouvriers quittent leur emploi ou occupent les usines.
Sixièmement, lorsque nous oublions la fragilité de ce pouvoir au sommet, nous sommes stupéfaits de le voir s’effondrer face à la rébellion. Nous avons eu de nombreuses surprises de ce type à notre époque, tant aux États-Unis que dans d’autres pays.
Septièmement, ne vous attendez pas à un moment de triomphe total. Voyez cela comme une lutte permanente, faite de victoires et de défaites, mais au fil de ces luttes, la conscience des gens s’accroît. Il faut donc de la patience, de la persévérance, et comprendre que même si l’on ne « gagne » pas, il y a du plaisir et de la satisfaction dans le fait d’avoir été impliqué, avec d’autres bonnes personnes, dans quelque chose qui en vaut la peine.
D’accord, sept conseils profonds devraient suffire.