Avec sa population de presque 300 000 habitants, Gatineau est la quatrième plus grande ville du Québec et le centre administratif de la région de l’Outaouais. Elle bénéficie de la présence des rivières des Outaouais et Gatineau. Ces cours d’eau ont joué un rôle important dans l’histoire de la région et ont aussi une influence majeure sur l’occupation du territoire. Avec la ville d’Ottawa, Gatineau constitue une centre urbain important regroupant presque 1,5 million d’habitants. Cette densité de population vient avec les défis bien connus associés au transport des personnes et des biens ainsi que des enjeux d’aménagement du territoire.
L’économie de la région est influencée par la présence importante du gouvernement fédéral et des emplois qui y sont associés. À l’exception de quelques usines de pâtes et papier, l’industrie lourde y est peu présente. Suite aux fusions municipales de 2003 et au renouvellement massif des effectifs de la fonction publique fédérale des années 2000, Gatineau a connu au cours des vingt dernières années une forte croissance démographique et une accentuation de l’étalement urbain. Ces deux facteurs ont créé une pression considérable sur l’organisation d’un territoire riche en habitats naturels et en biodiversité. Mises à part les aires protégées du Parc de la Gatineau, il ne reste que très peu d’habitats naturels d’importance sur le territoire de la Ville. Outre les enjeux associés au transport, Gatineau fait aussi face à des défis importants concernant la gestion des matières résiduelles et le traitement de ses eaux usées.
Des évènements climatiques hors du commun ont marqué l’histoire récente de la municipalité. Des inondations majeures ont affecté la région de
l’Outaouais aux printemps 2017 et 2019. Des tornades dévastatrices ont frappé la ville en septembre 2018. Ces évènements ont marqué la population, les élu(e)s, et l’administration municipale.
À compter de 2009, de nombreux efforts ont été faits pour atténuer l’impact d’une cohabitation compétitive entre humains et écosystèmes. On peut citer entre autres :
- en 2009, premier inventaire des émissions de gaz à effets de serre suivi d’un plan d’action de réduction des émissions « corporatives » (émissions provenant de l’organisation municipale : véhicules, bâtiments, éclairage municipal, etc.);
- de 2010 à 2013, révision du schéma d’aménagement visant la réduction de l’étalement urbain mais également la protection des écosystèmes;
- au cours de la même période, une politique et une stratégie de gestion des matières résiduelles touchant le secteur résidentiel;
- l’arrivée du Rapibus (un système de voies exclusives aux autobus) en 2013;
- en 2015, définition d’un objectif de réduction des gaz à effet de serre de 18% pour 2020 avec 2009 comme année de référence;
- en 2015, second inventaire des émissions de gaz à effet de serre;
- en 2017, amorce de l’élaboration d’une « stratégie de gestion des enjeux liés aux changements climatiques »; et enfin,
- l’adoption de la Déclaration d’urgence climatique en 2018.
Inventaires d’émissions de gaz à effet de serre
La Ville de Gatineau a compilé des inventaires d’émission en 2009 et en 2015. Ces inventaires ont été validés en 2019.
L’analyse faite par ACO révèle que :
- 95% des émissions de GES sont associées avec les activités de la « collectivité » (émissions des citoyens, commerces, industries, etc.) alors que les activités corporatives et la Société de Transport de l’Outaouais n’étaient responsables que de 3/3,5 et 1/1.5% des émissions respectivement. Sans surprise le transport routier constitue le secteur d’activité le plus important (39%), suivi par les bâtiments résidentiels (26%).
- Les données disponibles montrent qu’entre 2009 et 2015 les émissions ont été réduites de 7,2% et qu’en moyenne les Gatinois.e.s émettaient en 2015 environ 6 tonnes de CO2 équivalent/année par habitant (sans tenir compte des émissions associées à la production de biens et services ayant lieu à l’extérieur de la région). À titre de comparaison le Québécois et le Canadien « moyen » émettent 10 tonnes et 15 tonnes, respectivement; par ailleurs l’Européen et l’Africain moyen émettent 5 et moins d’une tonnes, respectivement.
Stratégie de gestion des enjeux liés aux changements climatiques
Le 13 février 2018 le Conseil municipal a adopté à l’unanimité une résolution formalisant un partenariat avec le réseau international ICLEI – Local Governments for Sustainability pour le développement de la Stratégie de gestion des enjeux liés aux changements climatiques de la ville de Gatineau. Cette stratégie comprendra un volet adaptation ainsi qu’un volet réduction des émissions de gaz à effet de serre. Le développement de la stratégie est sous la gouverne de la Commission sur le développement du territoire, l’habitation et l’environnement (CDTHE).
Action Climat Outaouais a suivi assidûment le développement de la Stratégie et est intervenu lors des rencontres de la CDTHE. ACO a particulièrement insisté sur 1) le besoin de mettre en place un cadre de gestion reposant sur des indicateurs de performance, des rapports au public et des mécanismes d’imputabilité et 2) le besoin d’informer, consulter et mobiliser le grand public. Ce dernier aspect prend tout son sens lorsqu’on considère que la collectivité est responsable de plus de 95% des émissions de GES.
En mai 2021 la Ville a lancé une consultation publique sur l’élaboration de son Plan climat. ACO a soumis un mémoire détaillé présentant cinquante-deux recommandations. ACO s’est alors engagé à publier à titre d’observateur un rapport annuel sur les activités de la Ville reliées au Plan Climat. Les citoyens/citoyennes intéressé(e)s par cet enjeu pourront rester informés du développement via le site internet et la page Facebook d’Action Climat Outaouais.
Défis
En 2021, force est de constater qu’un certain nombre d’enjeux constituent toujours un défi de taille pour Gatineau. Plus que des efforts, ces enjeux vont demander un courage politique sans précédent dans l’histoire de la politique municipale. Pour Gatineau, la lutte au réchauffement climatique et l’adaptation aux conséquences irréversibles de ce réchauffement impliquent une action urgente et massive pour résoudre les enjeux suivants.
- L’accélération du développement de l’infrastructure de transport en commun et du transport actif, y compris l’élaboration d’une stratégie post COVID-19 pour contrer la tendance à la baisse de l’utilisation du transport en commun depuis mars 2020. Rappelons que le secteur du transport est le plus grand émetteur de GES sur le territoire de Gatineau, suivi de celui du bâtiment.
- Prioriser l’hydroélectricité pour l’alimentation du secteur résidentiel. Depuis une dizaine d’années, 95% des maisons neuves s’alimentent au gaz naturel, alors que les Inventaires des émissions de gaz à effet de serre de la Ville concluent que « Les incitatifs à utiliser l’électricité comme principale source d’énergie offrent […] le meilleur potentiel de réduction des émissions de GES pour le secteur résidentiel » (section 3.9.1). Le gaz naturel ne constitue pas une énergie propre!
- La protection, la revitalisation et l’accroissement des espaces verts et une réduction importante des îlots de chaleur; la protection et la revitalisation des milieux humides; des mesures drastiques de protection de la rivière des Outaouais et de ses berges, y compris le renforcement du règlement de zonage; la protection et la revitalisation de la biodiversité dans les habitats naturels.
- La construction et la rénovation des bâtiments municipaux selon des principes écologiques garantissant le zéro émission nette (zen), de même que l’intégration du principe zen dans le volet environnemental de la politique d’habitation et le soutien à sa mise en oeuvre par le secteur privé.
- La révision de la politique d’approvisionnement de biens et services pour inclure le critère absolu de qualité fondé sur l’analyse de risque et le principe de précaution, de même que celui du zéro émission nette (zen).
- Le soutien au développement d’une économie locale carboneutre innovante et résiliente dans des secteurs économiques prioritaires de la Ville de Gatineau.
Accès à l’information
À titre de groupe citoyen engagé dans l’arène municipale depuis plusieurs années, ACO ne saurait trop insister sur l’importance de la transparence et du partage le plus large possible des informations de la part de la Ville. Au moment d’écrire ces lignes (octobre 2020), le site Web de Gatineau est très incomplet en matière environnementale. ACO a dû recourir à des demandes d’accès à l’information en vertu de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels pour obtenir des documents, et la réponse n’a pas toujours été satisfaisante. Gatineau gagnerait à démontrer plus de transparence afin d’encourager une meilleure collaboration et prise en charge par la population et les organismes citoyens tels qu’ACO. Ainsi nous avons choisi de publier l’inventaire des émissions de gaz à effet de serre de la Ville, qui ne figure pas sur son site Web (en septembre 2020).
Partenariat et mobilisation citoyenne
Le partenariat de la Ville de Gatineau avec les acteurs de la cause environnementale existait déjà depuis plusieurs années, initialement avec entre autres le Conseil régional de l’environnement et du développement durable (CREDDO) et le Groupe d’action d’Équiterre en Outaouais (GAEO). Mais il était davantage de nature consultative et visait surtout à sensibiliser les élu.e.s et fonctionnaires aux enjeux environnementaux. Ce partenariat a culminé avec la présentation d’un mémoire par un regroupement de plusieurs organismes du domaine de l’environnement, lors des audiences publiques sur la révision du schéma d’aménagement tenues par la Ville en mars 2012. Il s’agissait du premier partenariat formel fondé sur un large consensus pouvant influencer les politiques publiques de Gatineau. Il a constitué un tournant majeur dans l’évolution de la concertation environnementale qui s’est par la suite poursuivie au sein des instances du CREDDO.
L’arrivée de Stop Oléoduc Outaouais en 2016 a constitué un autre tournant : la mobilisation citoyenne contre le projet de construction de l’oléoduc Énergie Est qui devait traverser le Québec jusqu’au Nouveau-Brunswick, entre autres sous la rivière des Outaouais. Des centaines de Québécoises et de Québécois de tous âges, de toutes origines, de partout au Québec ont pris la rue pour demander le retrait du projet. Dans la grande majorité des cas, les Conseils municipaux ont appuyé formellement la population… et ce fut le cas en Outaouais. Le Conseil municipal de la Ville de Gatineau a été le premier à approuver un mémoire de Stop Oléoduc Outaouais réclamant la fin d’Énergie Est. Il a même dépassé les attentes de la mobilisation en affirmant s’opposer à tout autre projet d’oléoduc qui pourrait surgir à l’agenda dans l’avenir. En 2017, ce fut la fin d’Énergie Est que le Gouvernement du Québec avait défendu pendant longtemps. Les mouvements citoyens du Québec avaient encore une fois fait la preuve que la force de la mobilisation était indispensable pour que le courage politique s’exerce. L’acceptation sociale devenait incontournable. Cette mobilisation devait s’appuyer sur les faits disponibles, sur la confiance mutuelle des partenaires et sur la transparence des pouvoirs publics.
Au cours des trois années qui ont suivi, Stop Oléoduc Outaouais et maintenant ACO qui lui a succédé, a jeté les bases de ce qui devient maintenant prioritaire dans un contexte d’urgence climatique : une stratégie de sensibilisation et de mobilisation en vue d’une transition énergétique rapide et d’envergure visant un changement profond du vivre ensemble dans nos collectivités. Plus de 100 mouvements citoyens, communautaires et universitaires se sont ralliés au sein du Front commun pour la transition énergétique pour élaborer une telle stratégie. ACO en est membre depuis plus de trois ans.
Aujourd’hui, un grand chantier est né : une opération de sensibilisation et de mobilisation devant mener à la création de collectivités ZEN (zéro émission nette) partout à travers le Québec. Est-ce que la Ville de Gatineau sera parmi les premières à relever le défi d’une transition juste et solidaire ? ACO le souhaite et travaille déjà sur un premier volet de l’opération : un ABC des changements climatiques. Mais ACO souhaite également que tous les acteurs de l’environnement de l’Outaouais se mobilisent pour soutenir Gatineau et toutes les autres municipalités de la région dans la lutte et l’adaptation aux changements climatiques.