Enjeu: Oléoducs et gazoducs

Synonyme de division au Canada, les oléoducs sont vus par les uns comme un gage de vitalité économique, et par les autres comme l’antithèse d’une prospérité durable. Sans le moindre doute, Action Climat Outaouais (ACO) joint sa voix à ces derniers depuis sa fondation. La logique grossière de l’industrie est perpétuelle, discernable et consternante : propagande, fausses promesses, lobbysme, extraction éhontée des hydrocarbures, le tout pour accroître au final la pollution. C’est pour dénoncer cette réalité qu’en 2016, les membres d’ACO (dont le nom était Stop Oléoduc Outaouais) ont organisé et participé à la Marche citoyenne pour nos rivières, parcourant plus de 125 km de Saint-André-d’Argenteuil jusqu’aux centres-villes de Gatineau et d’Ottawa. Les participants ont marché de 12 à 25 km par jour, du 14 au 20 août. Le but? Sensibiliser la population locale aux enjeux liés au projet d’oléoduc d’Énergie Est ainsi qu’à la menace qu’il représente pour les cours d’eau québécois.

La goutte qui a fait déborder le vase : Énergie Est

Sables bitumineux, Alberta.
Source: Dru Oja Jay, Dominion/ CC BY

Tout comme bien d’autres comités citoyens fondés vers 2015-2016, ACO a vu le jour dans le tumulte médiatique qui a agité les Canadiens lorsque la compagnie TransCanada (aujourd’hui TC Énergie) a mis de l’avant le projet d’oléoduc d’Énergie Est. À l’époque, la société souhaitait acheminer la production de pétrole de l’Alberta, de la Saskatchewan et du Dakota du Nord au terminal maritime de Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick. L’objectif était de faciliter le transport de ce pétrole lourd du cœur du continent vers un port océanique, d’où il pourrait atteindre les marchés extérieurs.

L’oléoduc d’Énergie Est devait transporter 1 100 000 barils de pétrole par jour, à la fois du pétrole léger conventionnel ou du pétrole brut de synthèse, issu du pré-raffinage du bitume extrait des sables bitumineux de l’Athabasca. La conduite devait mesurer plus de 4 000 km de long dans son ensemble et traverser plus de 800 cours d’eau au Québec seulement. Un projet conjoint de port pétrolier à Cacouna s’y était également greffé. Comme plus de 700 km de l’oléoduc devait traverser le Québec, la compagnie était prête à tout pour conquérir la province, y compris l’emploi de tactiques peu reluisantes, comme le fait de payer des partisans pour susciter un appui public au projet ou de mettre tout en œuvre pour nuire sciemment à tout opposant à l’oléoduc.

Malgré tout, une partie de la population a manifesté une vive résistance au projet. Ainsi, la communauté métropolitaine de Montréal et la ville de Gatineau se sont prononcées contre le projet, souvent après des consultations publiques fortement achalandées. Plusieurs autres municipalités ont fait de même. Un des éléments alimentant cette opposition était l’augmentation exponentielle des gaz à effet de serre qui auraient été générés par l’oléoduc. Ainsi, selon l’institut Pembina, les GES produits au Canada auraient équivalus à 30 à 32 millions de tonnes annuellement, le tout équivalant à l’ajout de sept millions de voitures sur les routes canadiennes. C’est en partie cette opposition populaire qui a poussé TransCanada à retirer son projet le 5 octobre 2017.

Plusieurs autres projets ont été rejetés par le gouvernement fédéral ces dernières années. Ainsi, en novembre 2016, ce fut le cas de l’oléoduc Northern Gateway d’Enbridge, entre l’Alberta et Kitimat en Colombie-Britannique. Le projet gazier du Mackenzie, qui devait transporter du gaz naturel depuis le delta du Mackenzie jusqu’au nord de l’Alberta, a été également abandonné en 2017.

Pourquoi les oléoducs sont-ils problématiques?

Une partie du pétrole transporté dans les oléoducs est en fait du bitume qui est un « mélange d’hydrocarbures noir et épais extrait de la terre ou formé pendant le processus de traitement du pétrole. ». Il a la consistance du beurre d’arachide. Comme il est trop épais pour pouvoir circuler dans les oléoducs, il est transformé en bitumé dilué, ou dilbit, avec des pétroles plus légers, ce qui lui permet d’être suffisamment liquide pour être transporté dans les conduites. Des agents chimiques sont injectés dans le processus, dont parfois du benzène, cancérigène pour les humains.

Ce type d’hydrocarbure pose un fort risque en cas de déversement parce que, contrairement au pétrole conventionnel, il ne tend pas à flotter à la surface de l’eau. Au contraire, Le dilbit coule, ce qui rend sa récupération très difficile et onéreuse. En effet, comme le bitume forme de 50 à 70% de la composition du dilbit, au moins 50% de ses composantes ont tendance à se déposer au fond de l’eau. Il est alors difficile à repérer et difficile à extraire sans détruire le lit de la rivière. De plus, les conditions hivernales au Canada peuvent rendre son extraction presque impossible, et ce, alors que les procédures de nettoyage en cas de déversement sont prévues pour du pétrole flottant sur l’eau.

Étant souvent enfouis ou traversant des régions isolées, les oléoducs présentent un risque considérable de déversement, surtout lorsque les fuites ne sont pas repérées rapidement. Ces écoulements peuvent alors contaminer les sources d’eau potable de nombreuses communautés et mettre en péril les écosystèmes avoisinants. En effet, un article ayant examiné 9 000 études sur les effets du bitume dans les milieux marins révèle qu’il existe peu d’informations sur la toxicité des différents types de bitume sur les organismes marins.

Le pétrole issu des sables bitumineux tend à produire les émissions de GES parmi les plus élevées, surtout lorsqu’il est produit avec plus de gaz naturel ou d’eau, ou est extrait très en profondeur ou de puits isolés. Les émissions augmentent si les compagnies pétrolières ont l’autorisation de brûler le gaz utilisé dans le processus d’extraction ou d’utiliser de la vapeur pour pomper le pétrole hors de la terre.

Plusieurs communautés autochtones de l’Ouest canadien sont très inquiètes des impacts de la pollution découlant de l’exploitation des sables bitumineux sur leurs modes de vie ancestraux, notamment vu la mise en péril des espèces traditionnellement pêchées et chassées. Cette inquiétude a mené certaines d’entre elles a agir en justice dont les Cris de Beaver Lake qui ont intenté une poursuite contre les gouvernements de l’Alberta et du Canada vu les impacts destructeurs de l’industrie sur leur territoire.

Les oléoducs et gazoducs au Canada : portrait de la situation actuelle

Les oléoducs existent depuis longtemps au pays. Ils forment actuellement un réseau de 840 000 kilomètres. Ce réseau, partant des champs pétrolifères albertains, sillonne le Canada dans toutes les directions, que ce soit au nord (Territoires du Nord-Ouest), au sud (Texas), vers l’ouest (Colombie-Britannique) ou vers l’est (Québec).

Manifestation contre l’oléoduc Trans Mountain, 2018-08-25.
Source: « At the Kwekwexnewtxw Watch House and the Kinder Morgan Tank Farm in Burnaby, British Columbia, Canada. », Sally T. Buck/ CC BY-NC-ND 2.0

En ce moment, plusieurs projets projettent d’élargir les oléoducs déjà existant au pays. On pense notamment à l’expansion du TransMountain, racheté par le gouvernement fédéral à la société Kinder Morgan pour 4,5 milliards de dollars. Il partirait d’Edmonton, en Alberta, à Burnaby, en Colombie-Britannique. Il permettrait d’augmenter à 890 000 barils quotidiens la capacité du réseau. En août 2018, la Cour d’appel fédérale a décidé d’annuler la décision gouvernementale, notamment parce que le gouvernement n’avait pas respecté entièrement le droit des Autochtones d’être consultés dans le cadre du projet d’expansion et qu’il a manqué à certaines obligations découlant de la Loi sur les espèces en péril. Des mesures auraient dû être proposées pour atténuer l’impact des navires pétroliers sur les épaulards. Après un nouveau rapport produit par l’Office national de l’énergie (ONE), la nouvelle mouture du projet a été approuvée en 2019. La construction est présentement en cours.

Quant à lui, le projet Keystone XL (830 000 barils quotidiens prévus de pétrole brut) est une conduite qui devait traverser une bonne partie du territoire américain jusqu’au Nebraska. Le projet a d’abord été bloqué en 2015 par une décision du gouvernement américain, qui a été renversée en 2017 suite à l’élection du nouveau gouvernement. La construction de l’oléoduc, propriété de TC Énergie, a commencé en mars 2020 avec un investissement en capital de 1,5 milliard de dollars fait par le gouvernement albertain. Elle s’est poursuivie malgré un jugement américain ayant annulé le permis permettant à l’oléoduc de traverser les cours d’eau. Le dernier acte s’est joué le 20 janvier 2021, lorsque le nouveau président américain Joe Biden a révoqué le permis du projet, réalisant ainsi une promesse électorale. Cette décision a fait partie des tout premiers décrets promulgués par le président à son premier jour en fonction, avec celui portant sur la réintégration des États-Unis dans l’Accord de Paris sur le climat. La compagnie TC Énergie a pris acte de la décision et annoncé en juin 2021 la fin du projet.

Tout aussi important, le projet de remplacement de la ligne 3 d’Enbrige est aussi en cours. Il doit commencer en 2020 et permettre le transport de 390 000 barils de pétrole quotidiens. Il a fait face à une virulente opposition au Minnesota, mais il a obtenu en février 2020 la dernière approbation manquante pour permettre à la construction d’être entamée.

Finalement, le projet Coastal GasLink est un gazoduc, propriété de TC Énergie, qui sera construit en Colombie-Britannique, partant de Dawson Creek jusqu’à Kitimat. Il passera à travers de nombreux territoires autochtones, dont celui des Wet’suwet’en qui ont refusé de consentir à sa construction pour des raisons environnementales. En 2019 et 2020, des membres de la nation ont établi un blocus, empêchant la construction du gazoduc. Des arrestations ont eu lieu pour libérer le lieu, ce qui a déclenché de nombreuses manifestations de solidarité partout au Canada, dont une organisée par la nation Mohawk de Tyendinaga en Ontario qui a forcé la fermeture d’un segment de la voie ferrée. Cette action a empêché le passage des trains dans l’est du Canada pendant plusieurs semaines. Une conférence a eu lieu entre les gouvernements de Colombie-Britannique, du Canada et de la nation Wet’suwet’en, mais les chefs traditionnels s’opposent encore au projet malgré la conclusion d’un accord provisionnel sur les droits des terres.

Le développement exponentiel du réseau d’oléoduc canadien comporte des coûts considérables qui ne peuvent être rentabilisés que par l’exploitation de cette infrastructure durant plusieurs décennies, ce qui va totalement à l’encontre des actions à prendre dans le présent contexte d’urgence climatique. Ces mesures empêchent d’assurer la transition énergétique nécessaire pour stabiliser le climat et d’éviter le pire de la catastrophe climatique à venir dans les prochaines années. C’est dans un souci d’assurer la prise de mesures publiques en cohérence avec la science climatique qu’ACO se mobilise avec vigueur sur cette question.