Comme le charbon et le pétrole, le gaz naturel est un combustible fossile, issu de la décomposition de la matière organique et des pressions du manteau terrestre depuis des centaines de millions d’années. Son principal ingrédient est le méthane, un hydrocarbure simple (CH4).
La fracturation hydraulique
Depuis 2006 environ, la production de GN en Amérique du Nord a bondi grâce à la fracturation hydraulique, qui consiste à fissurer les couches de schiste ou d’autres roches imperméables à l’aide de grandes quantités d’un mélange d’eau, de produits chimiques toxiques et de sable sous pression. Les puits sont forés verticalement puis horizontalement, jusqu’à 3 km de distance. Comme la densité en hydrocarbures est faible et que les puits s’épuisent rapidement, cette technique exige de forer un grand nombre de puits. La plus grande partie du gaz aux États-Unis et au Canada est produite par fracturation, et ce mouvement ira en s’accentuant. On estime à plus de 200 000 le nombre de puits par fracturation dans l’ouest canadien.
Le gaz naturel liquéfié (GNL)
À cause du boom de la production de gaz par fracturation, c’est la capacité de distribution et d’exportation qui constitue aujourd’hui le goulot d’étranglement. Au lieu de distribuer le gaz au moyen d’un gazoduc à partir d’une région productrice vers une région consommatrice, on l’exporte maintenant dans des super-méthaniers, des navires pouvant atteindre une longueur de 300 m, et l’industrie cherche à multiplier les usines de liquéfaction et les terminaux. Comme dans le cas des sables bitumineux, les projets d’exportation constituent la clé, non pas pour écouler une production existante, mais pour permettre une augmentation radicale de la production. La construction éventuelle d’une telle infrastructure, prévue pour durer des décennies, aurait des impacts à long terme sur le paysage économique québécois.
Gaz 1, climat 0
La consommation du gaz, par combustion du méthane, provoque des émissions de dioxyde de carbone moins abondantes que celles du charbon ou du pétrole. Les émissions de CO2 sont cependant significatives. La combustion du gaz reste beaucoup plus polluante que les énergies propres comme l’hydro-électricité, l’éolien et le solaire, et son efficacité énergétique est bien moindre.
Toutefois, comme pour les sables bitumineux, c’est en amont que s’aggrave le bilan climat du gaz. Le méthane s’échappe à toutes les étapes à partir du forage et de la fracturation jusqu’à la distribution finale, en passant par le transport dans les gazoducs et les méthaniers. Une partie des fuites sont accidentelles bien qu’inévitables, mais une partie du méthane est émis durant les opérations normales de fracturation, et durant la mise à l’air des conduits, compresseurs et réservoirs.
En outre, une partie des puits inactifs ou abandonnés continuent d’émettre du méthane. Une étude de l’AQLPA en 2015 a montré que 38 des puits étudiés (sur 121) présentaient des indices de fuites. Le problème était aggravé par la difficulté de repérer les puits : seulement 18 étaient visibles sans creuser. Les études d’ailleurs dans le monde recensées par l’AQLPA ne sont pas plus rassurantes. Une étude récente (2020) des données officielles sur 21 525 puits en Colombie-Britannique montre que plus de 10% fuient.
Or le méthane est un gaz à effet de serre beaucoup plus puissant que le CO2, jusqu’à 84 fois sur un horizon de 20 ans, après quoi il est oxydé en CO2, de sorte qu’une molécule de méthane affecte le climat autant que 36 molécules de CO2 sur un siècle!
Des effets locaux majeurs
Outre ses effets sur le climat, la production de gaz par fracturation consomme de grandes quantités d’eau (p. 116 : plus de 20 millions de litres par puits et par année). Cette eau est irrémédiablement polluée et on en dispose en surface ou en profondeur, mais la qualité de l’eau des aquifères et des cours d’eau demeure un enjeu majeur. Au Québec, la réglementation en vigueur impose une distance minimale de 500 mètres entre un site de forage ou le lieu d’un sondage stratigraphique et les sources d’eaux potables destinées aux humains. Elle prévoit également une distance de 400 mètres minimum entre une opération de fracturation et la base d’un aquifère. Or, un rapport du BAPE de 2014 a démontré que ces distances étaient insuffisantes et menaçaient l’eau potable (p. 408). De plus, la liste des effets possibles ou probables de l’extraction inclut « anomalies congénitales du cœur ou du tube neural, cancer, maladies cardiovasculaires, troubles cutanés, symptômes gastro-intestinaux, effets neurologiques ou psychologiques et maladies respiratoires ». La fracturation provoque aussi une augmentation des tremblements de terre : presque tous les séismes de magnitude 3 ou plus dans le bassin sédimentaire de l’ouest canadien étaient dus à la fracturation entre 2010 et 2015. La circulation des camions cause aussi des nuisances, le transport d’eau à lui seul pouvant entraîner plus de 2 000 voyages de camions.
Un frein à la transition énergétique
Les promoteurs de la fracturation et du GNL la présentent comme un atout sous prétexte qu’elle pourrait se substituer au charbon pour la production d’électricité. Or il n’en est rien! Les émissions fugitives de méthane se produisent au cours de la production (répartie en centaines de milliers de puits), du stockage, du transport et de la distribution du gaz. Les promoteurs minimisent ces émissions en ne comptabilisant que les émissions directes des puits durant leur vie active, négligeant les émissions durant les autres phases et celles des puits après leur vie active. Des études plus récentes fondées sur des relevés aériens et par satellite mesurent directement et globalement les émissions de méthane de bassins exploités par fracturation hydraulique. Elles concluent qu’entre 4% et 9% du méthane extrait est perdu dans l’atmosphère avant sa combustion. Or il suffit que 3% du méthane dans le gaz naturel s’échappe pour que ce combustible soit encore plus dommageable pour le climat que le charbon pour la production d’électricité!
De quelle substitution parle-t-on alors? Depuis une dizaine d’années le coût des énergies propres a décru considérablement, de sorte qu’il est tout à fait possible de passer directement du charbon aux énergies propres. Déjà en 2019, selon l’Agence internationale pour les énergies renouvelables, le coût de plus de la moitié de la capacité de production d’énergies renouvelables à l’échelle industrielle était inférieur au coût le plus bas des équivalents en énergie fossile. Mais la surproduction de gaz, la faiblesse de la réglementation et les prix très bas qui en résultent font que le gaz concurrence directement les énergies propres, comme on peut le constater dans le nord-est des États-Unis où l’hydroélectricité québécoise peine à concurrencer le gaz à bas prix provenant de la fracturation.
Au Québec même, les dizaines de millions versés à Énergir (anciennement Gaz Métro) pour étendre son réseau de distribution permettent à cette dernière d’offrir de juteux rabais pour faire passer les consommateurs résidentiels et commerciaux de l’hydro-électricité vers le gaz naturel… Cherchez l’erreur!
Si substitution il y a, elle tend donc à se faire des énergies propres vers le gaz, aggravant la crise climatique. C’est une « substitution régressive », selon le mot d’Éric Pineault.
Retombées économiques négatives pour le Québec
Il est fort à parier que l’exploration et l’exploitation du GN au Québec aura des impacts économiques négatifs sur la province beaucoup plus importants que les impacts positifs qui pourraient en émerger. En effet, les gisements québécois sont marginaux et peu rentables. La plupart des compagnies qui disposent de permis d’exploration et d’exploitation sont petites et peu solides financièrement. Par exemple, Pieridae (anciennement Pétrolia) est au bord de la faillite et ne peut déclasser ses puits gaspésiens. Junex a été racheté par un fonds spéculatif autrichien : Investissement Québec a radié ses actifs dans ce secteur et 100 millions de fonds publics ont été perdus. On peut donc prévoir que si la santé économique de ces sociétés est si précaire, ces compagnies n’auront pas les moyens d’assumer les coûts d’une catastrophe environnementale. Ce sera donc à l’État (et donc aux contribuables québécois) d’en assumer les frais. Même sans catastrophe, les coûts associés aux puits orphelins s’ajouteront – le gouvernement fédéral a annoncé en mai 2020 qu’il consacrera 1,7 milliards de fonds publics pour nettoyer les puits abandonnés dans l’Ouest canadien. En outre, le secteur privé lui-même tend de plus en plus à se retirer des projets liés à l’exploitation et à la distribution des GNL, en témoigne la décision du fonds de Berkshire Hathaway de cesser sa participation au projet de GNL-Québec.
Les usines de liquéfaction consomment beaucoup d’électricité. Hydro-Québec devrait fournir au projet Énergie Saguenay 5 TWh (équivalant à la consommation de 250 000 familles), alors qu’Hydro-Québec prévoit la fin des surplus d’électricité vers 2026 : c’est détourner une énergie propre vers la production d’énergie sale!. Il s’agit aussi d’une subvention massive, puisque le tarif préférentiel d’électricité offert à Énergie Saguenay serait inférieur de quelques 300 millions au coût pour Hydro-Québec, chaque année. Ces données ne tiennent pas compte de la consommation d’électricité de la portion gazoduc du projet. L’Union des consommateurs prévoit donc un choc tarifaire pour la population québécoise si le projet va de l’avant.
En plus, les infrastructures massives comme le gazoduc et le terminal de liquéfaction et d’exportation, éventuellement construites à grand renfort de subventions, se transformeront en boulet financier et environnemental lorsque le Québec fera face à la crise climatique avec plus de sérieux qu’aujourd’hui… Comme la centrale au gaz de Bécancour, construite en 2004, qui aura coûté aux Québécois plus de 2 milliards à la fin du contrat avec Trans-Canada, après n’avoir été en production qu’un an!
Fin d’un projet d’arrière-garde!
Le BAPE a soumis en mars 2021 un rapport extrêmement critique face au projet, reprenant la plupart des arguments avancés par les groupes environnementaux, y compris Action Climat Outaouais. Le 21 juillet 2021 le gouvernement du Québec a annoncé qu’il n’autoriserait pas le projet d’usine de liquéfaction de GNL-Québec, ce qui entraîne aussi l’abandon du projet de gazoduc. Le promoteur du projet a cependant décidé d’aller de l’avant avec la partie de l’évaluation menée par le gouvernement fédéral. Suite à un rapport très critique de l’Agence d’évaluation d’impact du Canada, soulevant notamment les « effets importants » du projet sur l’atteinte des objectifs du Québec et du Canada en matière d’émission de gaz à effet de serre et de changements climatiques, sur les mammifères marins ainsi que sur le patrimoine culturel des Premières Nations innues. Le 7 février 2022, gouvernement fédéral a rejeté le projet.
Selon le président d’ACO, Réal Lalande, « bien que conscients de l’importance de soutenir la mise en œuvre de projets d’infrastructure importants dans le contexte économique difficile que nous traversons, nous ne pouvons le faire au détriment et en dépit de la science et du bon sens. Il nous faut des projets plus respectueux de notre environnement et de sa biodiversité. »
En Outaouais
L’Outaouais n’échappe pas aux pressions d’arrière-garde pour l’expansion des énergies fossiles. Dans la ville de Gatineau, pourtant dynamique à d’autres égards, 95% des maisons neuves s’alimentent au gaz. Pourtant le secteur résidentiel représente 25% des émissions de GES, et l’inventaire des émissions de GES de Gatineau concluait en 2017 que l’électricité offrait « le meilleur potentiel de réduction des émissions de GES pour le secteur résidentiel »!
À cet égard l’Outaouais et le Québec tirent de l’arrière puisque des villes et d’autres jurisdictions importantes ont déjà interdit l’utilisation du gaz naturel dans au moins une partie des nouveaux bâtiments : pensons à Vancouver, New York, San Francisco ou à l’État de Washington par exemple.