Quelle place pour le gaz naturel renouvelable dans le mix énergétique de l’avenir?

Selon Énergir, le gaz naturel renouvelable (GNR) serait, pour notre quasi-monopole gazier, « la clé de voûte pour s’aligner à la trajectoire 1,5 °C ». Son Rapport sur la résilience climatique 2023 indique qu'en 2050, si la trajectoire illustrée se réalise, le GNR aura complètement éclipsé le gaz naturel fossile dans les bâtiments et représentera les deux tiers du gaz naturel destiné aux industries. Le GNR distribué annuellement totaliserait alors 2,1 milliards de mètres cubes, soit 0,9 milliard dans le secteur du bâtiment et 1,2 milliard dans le secteur industriel.

Ce rôle déterminant attribué au GNR s’explique facilement, du moins à première vue. D’abord, comme il est identique au gaz fossile au niveau moléculaire (CH4), le GNR peut être injecté et brûlé directement dans les équipements existants. De plus, il est généralement postulé que, le CO2 émis lors de la combustion du GNR étant de nature biogénique, il ne contribue pas au réchauffement climatique. Enfin, ainsi auréolé de vert, le GNR fournit une réponse facile au défi des pointes de demande d’électricité qui semble hanter Hydro-Québec et le ministre responsable de l’Énergie depuis qu’ils ont « découvert » que la lutte au réchauffement climatique créera une pression sur le réseau électrique, surtout si on continue d’octroyer des méga-blocs de puissance à des entreprises énergivores.

Qu’en est-il, dans les faits? Le GNR est-il réellement et invariablement « vert »? Mérite-t-il de s'appeler « renouvelable »? Le Québec pourra-t-il fournir chaque année la biomasse nécessaire pour produire 2,1 milliards de mètres cubes de GNR sans renoncer à des services écologiques indispensables? Faut-il vraiment manufacturer annuellement 900 millions de mètres cubes de GNR pour chauffer des bâtiments, alors qu’il existe d’autres solutions de gestion des pointes? Quels seront les effets de verrou d’une production massive de GNR sur nos modes de production et de consommation insoutenables? Les forêts, déjà fort malmenées, pourront-elles soutenir une intensification des récoltes de biomasse afin de produire du gaz?

On ne trouvera pas les réponses à ces questions dans la Stratégie québécoise sur l’hydrogène vert et les bioénergies, adoptée en 2022 par le gouvernement Legault à la suite d’une consultation à la va-vite. Par contre, un tout nouveau rapport de recherche1 révèle que la science du GNR n’est pas aussi simple qu’on aimerait le croire et que le GNR comme solution miracle à la décarbonation d’Énergir n’est peut-être qu’une chimère. Ce rapport souligne que le développement de la filière GNR n’a fait l’objet ni d’une évaluation environnementale stratégique ni d’un débat public large. Il indique aussi que le véritable potentiel de production de GNR au Québec est inconnu, car les estimations de biomasse publiées incluent d’importants volumes qui sont déjà utilisés de manière plus rentable ou plus écologique. Enfin, il révèle que la filière GNR peut, au moins dans certains cas, alimenter le réchauffement global de la planète et non le freiner.

Le rapport note également l’effet de verrou de l’industrie du GNR sur les élevages intensifs de bétail. Il souligne qu’il est préoccupant de voir émerger au Québec des méga-usines de biométhanisation du lisier, soutenues financièrement par le gouvernement, sans qu’il soit démontré que les volumes de GES évités sont majeurs par rapport aux émissions totales de ces élevages. Dans le cas de la production de GNR à partir de la biomasse forestière, qui représente 80 % du potentiel technico-économique estimé à l’horizon 2030, le rapport cite diverses études qui font planer des doutes sur la prétendue carboneutralité de ce combustible dans le laps de temps dont nous disposons pour ralentir la crise climatique. En fait, ce type de GNR pourrait provoquer une accélération du réchauffement climatique et contribuer à un effet domino « à cause des forts volumes d’émissions de GES à court terme et de la dette carbone à long terme ».

L’état de la science ne mène pas à la conclusion que le GNR est à exclure totalement du mix énergétique de l’avenir, mais soulève des questions incontournables quant au volume à produire, à la manière de le faire et aux usages à prioriser. Comment répondre à ces questions? En ayant recours à une procédure rigoureuse, légitime, conforme au principe de précaution et appréciée de la population du Québec : une enquête et des consultations menées par le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE). Cette procédure devrait s'intégrer au « BAPE générique » sur l'avenir énergétique du Québec que la société civile réclame depuis plus d'un an.

Cessons de foncer tête baissée dans le développement à grande échelle d’une filière dont nous ne connaissons réellement ni les risques ni les limites. L’enjeu est majeur : il y va du succès ou de l’échec de la décarbonation du système énergétique québécois et de la transition juste pour les travailleuses et travailleurs concerné.e.s.


1 Dionne M. et E. Pineault, 2024, Gaz naturel renouvelable : enjeux climatiques et écologiques et potentiel de production au Québec, Institut des sciences de l’environnement, UQAM, préparé pour le Front commun pour la transition énergétique.

Organisations signataires

Carole Dupuis, porte-parole, Mouvement écocitoyen UNEplanète
Bruno Detuncq, Regroupement vigilance hydrocarbures Québec
Andréanne Brazeau, analyste des politiques climatiques, Équiterre
Denis Blaquière, président, Front commun québécois pour une gestion écologique des déchets
Anne-Céline Guyon, analyste Énergie-Climat, Nature Québec
Stéphanie Harnois, spécialiste des communications et affaires publiques, Fondation David Suzuki
Jean-Pierre Finet, analyste et porte-parole, Regroupement des organismes environnementaux en énergie (ROEÉ)
Maude Prud’homme, agente d’écologie sociale, Réseau québécois des groupes écologistes
Myriam Thériault, coordonnatrice générale de Mères au front
Patrick Bonin, responsable de la campagne Climat-Énergie, Greenpeace Canada
Normand Léo Beaudet, Coalition Alerte à l’Enfouissement Rivière du Nord (CAER)
Sylvie Beauregard, Mères au front et ses allié.e.s des Cantons de l’Est
Marc Brullemans, président, Mobilisation Climat Trois-Rivières
Jacques Lebleu, Mobilisation environnement Ahuntsic-Cartierville (MEAC)
Lucie Bergeron, Transition Capitale-Nationale
Réal Lalande, président, Action Climat Outaouais (ACO)
Lucie Massé, porte-parole, Action Environnement Basses-Laurentides (AEBL)
Quentin Lehmann, Écothèque
Sylvie Berthiaume, vice-présidente, Solidarité Environnement Sutton
François Geoffroy, co-coordonnateur, Travailleuses et Travailleurs pour la Justice Climatique (TJC)
Pascal Bergeron, porte-parole, Environnement Vert Plus

Universitaires signataires

Damon Matthews, professeur en sciences du climat, Université Concordia
Louise Hénault-Éthier, directrice du Centre Eau Terre Environnement, professeure associée, Institut National de la Recherche Scientifique (INRS)
Laure Waridel, écosociologue, Ph. D., professeure associée, Institut des sciences de l’environnement de l’UQAM
René Audet, Ph. D., professeur et titulaire de la Chaire de recherche sur la transition écologique de l’UQAM.
Jesse Greener, professeur, Département de chimie, Université Laval
Éric Notebaert, MD, vice-président de l’Association québécoise des médecins pour l'environnement
Jean-Philippe Waaub, Collectif scientifique sur les enjeux énergétiques au Québec
Jonathan Durand Folco, professeur agrégé, École d’innovation sociale, Université Saint-Paul
Cathy Vaillancourt, Ph. D., professeure titulaire Centre Armand Frappier Santé Biotechnologie, Institut National de la Recherche Scientifique (INRS)
Olivier Riffon, Ph. D., professeur en éco-conseil, Université du Québec à Chicoutimi
Tarek Rouissi, Ph. D., professeur adjoint, Centre Eau Terre Environnement, Institut National de la Recherche Scientifique (INRS)
Louise Vandelac, Ph. D., professeure titulaire, Département de sociologie et Institut des sciences de l’environnement, UQAM, co-rédactrice en chef de VertigO et directrice du CREPPA
Sophie L. Van Neste, professeur à l’INRS et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en action climatique urbaine
Marie-Josée Béliveau, professeure, Ms. Sciences en géographie et doctorante.